Télétravail à l’étranger : Le nouveau cadre déclaratif des employeurs français en 2025

Le paysage du travail à distance connaît une transformation majeure avec l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2025, du décret n°2024-157 imposant aux entreprises françaises de nouvelles obligations déclaratives pour leurs salariés en télétravail depuis l’étranger. Cette réforme répond à la multiplication des digital nomads et aux enjeux de fiscalité internationale soulevés par cette pratique. Les entreprises disposent désormais de moins d’un an pour se conformer à ce cadre réglementaire qui modifie profondément la gestion administrative des ressources humaines internationales.

Le cadre juridique renforcé du télétravail transfrontalier

Le décret n°2024-157 du 15 octobre 2024 constitue une refonte complète du dispositif préexistant. Jusqu’à présent, le télétravail à l’étranger évoluait dans un flou juridique où employeurs et salariés naviguaient entre accords bilatéraux et dispositions nationales parfois contradictoires. Le nouveau texte établit un cadre unifié qui s’applique à toutes les entreprises françaises, quelle que soit leur taille, dès lors qu’elles emploient des salariés exerçant leur activité hors du territoire national plus de 60 jours par an.

Cette réglementation s’inscrit dans le prolongement de la directive européenne 2023/970 sur la mobilité professionnelle transfrontalière, transposée en droit français par la loi du 18 juin 2024. Elle répond aux recommandations formulées par le rapport Villani-Lahoud qui pointait les risques fiscaux et sociaux liés à l’absence de traçabilité des situations de télétravail international.

Le texte distingue trois catégories de télétravailleurs à l’étranger :

  • Les expatriés temporaires (séjour de moins de 6 mois)
  • Les télétravailleurs réguliers (plus de 6 mois mais moins de 183 jours par an)
  • Les résidents permanents à l’étranger (plus de 183 jours par an)

Cette classification détermine le régime déclaratif applicable et les obligations qui en découlent pour l’employeur. Le Conseil d’État, dans son avis n°412876 du 5 septembre 2024, a validé cette approche graduée, estimant qu’elle respectait le principe de proportionnalité tout en garantissant l’efficacité du contrôle administratif.

L’impact de ce nouveau cadre juridique ne se limite pas aux aspects administratifs. Il redéfinit la relation contractuelle entre employeur et salarié en télétravail à l’étranger, notamment en matière de droit applicable. La Cour de cassation a d’ores et déjà précisé, dans un arrêt du 14 mars 2024, que ces nouvelles dispositions n’affectaient pas le principe selon lequel le droit du travail français reste applicable si le contrat a été conclu en France, même en cas d’exécution partielle à l’étranger.

Le registre numérique obligatoire des télétravailleurs internationaux

La mesure phare du décret réside dans la création d’un registre numérique centralisé des télétravailleurs à l’étranger. À compter du 1er mars 2025, chaque entreprise devra alimenter cette base de données gérée conjointement par l’URSSAF et la Direction Générale des Finances Publiques. Ce registre constitue une innovation majeure dans le paysage administratif français et répond à une volonté de transparence accrue.

Les informations à transmettre pour chaque salarié comprennent :

  • Les données d’identification du salarié et son numéro de sécurité sociale
  • Le pays d’exercice de l’activité et l’adresse précise
  • La durée prévisionnelle du télétravail à l’étranger
  • Le régime fiscal et social applicable selon les conventions bilatérales
  • Les modalités techniques d’exercice (matériel fourni, connexion sécurisée, etc.)
A lire aussi  Comment garantir la conformité légale des pratiques promotionnelles et de fidélisation ?

Ce registre sera accessible via la plateforme Net-Entreprises, avec une authentification renforcée par double facteur. Les mises à jour devront être effectuées dans un délai de 15 jours suivant tout changement significatif dans la situation du télétravailleur. Le non-respect de cette obligation expose l’employeur à une amende administrative pouvant atteindre 3 000 € par salarié non déclaré, portée à 6 000 € en cas de récidive dans un délai de deux ans.

La mise en place de ce registre s’accompagne d’une période transitoire de six mois, du 1er mars au 31 août 2025, pendant laquelle les sanctions ne seront pas appliquées, afin de permettre aux entreprises d’adapter leurs processus internes. L’administration fiscale a publié un guide méthodologique détaillant les procédures de déclaration et proposant des solutions techniques pour l’extraction automatisée des données depuis les systèmes d’information RH existants.

Cette centralisation des informations vise à faciliter les contrôles croisés entre administrations françaises et étrangères. Le décret prévoit d’ailleurs des protocoles d’échange de données avec les pays de l’Union européenne et avec les États ayant conclu des conventions fiscales bilatérales avec la France. Cette dimension internationale du dispositif constitue un défi technique majeur que le ministère de l’Économie entend relever grâce à une infrastructure numérique développée spécifiquement.

Les obligations en matière de protection sociale et fiscalité

Le décret instaure un mécanisme de contrôle préalable des situations de télétravail à l’étranger sous l’angle de la protection sociale. Avant d’autoriser un salarié à télétravailler depuis un pays étranger, l’employeur devra obligatoirement procéder à une analyse d’impact documentée pour déterminer le régime de sécurité sociale applicable.

Cette analyse repose sur l’application des règlements européens de coordination (règlements CE n°883/2004 et 987/2009) pour les pays de l’UE/EEE/Suisse, des conventions bilatérales de sécurité sociale pour les pays conventionnés, ou du droit français pour les pays non conventionnés. L’employeur devra notamment vérifier si le télétravail à l’étranger entraîne un détachement au sens de ces textes ou s’il conduit à une pluriactivité soumise à des règles spécifiques.

La complexité réside dans l’interaction entre ces différents régimes. Par exemple, un salarié français télétravaillant depuis le Portugal pourrait rester affilié au régime français si son activité au Portugal n’excède pas 25% de son temps de travail total. Au-delà, il relèverait du régime portugais, avec obligation pour l’employeur de s’immatriculer auprès des organismes locaux.

Sur le plan fiscal, le décret impose une vigilance accrue concernant les risques d’établissement stable. L’employeur doit désormais documenter son évaluation du risque que le télétravail de son salarié à l’étranger constitue un établissement stable au sens des conventions fiscales. Cette question, longtemps théorique, devient centrale avec la multiplication des situations de télétravail international.

Le décret précise les critères d’appréciation inspirés des travaux de l’OCDE :

La permanence de l’installation (plus de 6 mois consécutifs au même endroit), le pouvoir d’engagement de l’entreprise par le salarié (capacité à conclure des contrats), et la nature des fonctions exercées (fonctions support ou activités générant directement du chiffre d’affaires). En cas de risque identifié, l’employeur devra soit renoncer au télétravail dans le pays concerné, soit procéder aux formalités d’immatriculation requises.

Le non-respect de ces obligations d’analyse préalable expose l’employeur à une responsabilité civile envers le salarié en cas de préjudice lié à une affiliation incorrecte, mais surtout à des redressements fiscaux potentiellement conséquents. La jurisprudence récente (CE, 8 juillet 2024, n°467215) a confirmé la possibilité pour l’administration fiscale de requalifier a posteriori une situation de télétravail en établissement stable, avec les conséquences fiscales qui en découlent.

A lire aussi  Procédure de recouvrement : Guide complet pour les entreprises

La mise en conformité des contrats et conventions collectives

Le décret impose une révision systématique des contrats de travail et des accords collectifs concernant le télétravail. Les entreprises disposent d’un délai d’un an, jusqu’au 1er janvier 2026, pour mettre leurs documents contractuels en conformité avec les nouvelles exigences légales.

Les contrats de travail devront désormais comporter une clause spécifique sur le télétravail à l’étranger précisant :

Les pays autorisés pour l’exercice du télétravail, les durées maximales de séjour dans chaque pays, les procédures d’information de l’employeur en cas de changement de lieu, et les conséquences d’un non-respect de ces dispositions (possibilité de sanction disciplinaire notamment).

Pour les contrats existants, un avenant devra être proposé aux salariés concernés. Le refus du salarié de signer cet avenant pourrait, selon les circonstances, constituer un motif légitime pour refuser ou mettre fin à une situation de télétravail à l’étranger. Le Conseil de Prud’hommes de Paris a d’ailleurs récemment validé cette approche (CPH Paris, 12 septembre 2024, n°24/00789).

Concernant les accords collectifs, le décret impose l’ouverture de négociations spécifiques sur le télétravail international dans toutes les entreprises où existe un accord sur le télétravail. Ces négociations devront aborder plusieurs thèmes obligatoires :

La politique de mobilité internationale de l’entreprise, les critères d’éligibilité au télétravail à l’étranger, les modalités d’exercice du pouvoir de direction à distance, et la prise en charge des surcoûts éventuels (équipements, assurances, etc.).

En l’absence d’accord dans le délai imparti, l’employeur devra établir une charte unilatérale après consultation du CSE. Cette charte devra faire l’objet d’une communication individuelle à chaque salarié et être annexée au règlement intérieur. Sa valeur juridique sera toutefois inférieure à celle d’un accord collectif, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt du 2 février 2024 (Cass. soc., n°22-17.235).

Ces modifications contractuelles et conventionnelles s’inscrivent dans une volonté de sécurisation juridique des relations de travail transfrontalières. Elles constituent un préalable indispensable à la mise en place d’un télétravail à l’étranger conforme aux nouvelles exigences légales et offrent une protection renforcée tant pour l’employeur que pour le salarié.

L’arsenal technologique au service de la conformité internationale

Face à la complexité croissante des obligations déclaratives, les entreprises sont contraintes de développer des solutions technologiques adaptées. Le décret prévoit d’ailleurs explicitement la possibilité pour les employeurs de recourir à des prestataires certifiés pour assurer le suivi et la conformité de leurs télétravailleurs internationaux.

L’Agence Nationale pour la Sécurisation des Données (ANSD), créée en mars 2024, a publié un référentiel technique définissant les exigences minimales pour les logiciels de gestion du télétravail international. Ce référentiel impose notamment :

La géolocalisation sécurisée des postes de travail avec historisation des connexions, la traçabilité des temps de présence dans chaque pays, l’authentification renforcée des utilisateurs, et des interfaces automatisées avec le registre national des télétravailleurs.

Plusieurs solutions technologiques ont déjà obtenu la certification ANSD-TT25 requise pour assurer la conformité aux nouvelles obligations. Parmi les fonctionnalités les plus innovantes, on trouve des systèmes d’alerte prédictive qui anticipent les seuils critiques (approche des 183 jours de présence dans un pays par exemple) et des modules d’analyse fiscale automatisée qui évaluent en temps réel les risques d’établissement stable.

La blockchain fait également son entrée dans ce domaine, avec des solutions permettant de certifier de manière incontestable les périodes de présence dans chaque pays. La startup française GeoCompli a ainsi développé un système utilisant la technologie de registre distribué pour créer des preuves de localisation opposables aux administrations fiscales.

A lire aussi  La faillite assurée sans une bonne protection pour votre entreprise

Ces outils technologiques doivent néanmoins s’accompagner d’une politique de formation des managers et des télétravailleurs. Le décret impose d’ailleurs explicitement aux entreprises de former leurs responsables RH et leurs managers aux spécificités du télétravail international. Cette formation doit couvrir les aspects juridiques, fiscaux et culturels de la gestion d’équipes distribuées géographiquement.

La mise en conformité technologique représente un investissement significatif pour les entreprises. Selon une étude du cabinet Deloitte publiée en septembre 2024, le coût moyen de déploiement d’une solution complète de gestion du télétravail international s’élèverait à 450 € par an et par télétravailleur concerné. Pour atténuer cette charge, le ministère de l’Économie a prévu un crédit d’impôt innovation spécifique, plafonné à 50 000 € par entreprise pour les années 2025 et 2026.

Les nouveaux acteurs du conseil en conformité

Face à ces enjeux techniques, un écosystème spécialisé émerge rapidement. Des cabinets d’avocats aux éditeurs de logiciels, en passant par les consultants en mobilité internationale, tous développent des offres dédiées à l’accompagnement des entreprises dans leur mise en conformité avec le décret de 2025.

La dimension stratégique d’une conformité bien orchestrée

Au-delà de l’aspect purement réglementaire, les nouvelles obligations déclaratives constituent un levier stratégique pour les entreprises qui sauront transformer cette contrainte en opportunité. Les organisations les plus avancées intègrent déjà ces exigences dans une vision globale de leur politique de travail à distance.

La mise en conformité peut devenir un catalyseur pour repenser la mobilité professionnelle dans son ensemble. L’établissement d’une cartographie précise des télétravailleurs internationaux permet d’optimiser la présence de l’entreprise dans différents pays, en tenant compte des fuseaux horaires, des compétences linguistiques et des spécificités culturelles.

Certaines entreprises françaises ont déjà amorcé cette réflexion stratégique. Le groupe Accor, par exemple, a développé un programme pilote baptisé « WorkAnywhere » qui intègre pleinement les nouvelles obligations déclaratives tout en en faisant un argument d’attraction et de fidélisation des talents. Ce programme définit des hubs internationaux dans lesquels le télétravail est facilité d’un point de vue administratif et fiscal, grâce à des accords préalables avec les autorités locales.

La conformité aux nouvelles exigences offre trois avantages compétitifs majeurs :

Une sécurisation juridique qui réduit les risques de contentieux coûteux, une flexibilité accrue dans la gestion des talents internationaux, et une image employeur renforcée auprès des candidats valorisant la mobilité internationale.

L’anticipation des obligations de 2025 permet d’éviter l’effet d’urgence qui conduirait à des décisions précipitées et potentiellement inadaptées. Les entreprises disposent encore de quelques mois pour élaborer une stratégie cohérente, former leurs équipes et déployer les outils nécessaires. Cette période transitoire est précieuse pour tester différentes approches et identifier celle qui correspond le mieux à la culture et aux besoins spécifiques de l’organisation.

La dimension internationale de ces obligations nécessite une veille réglementaire permanente. Les conventions fiscales et de sécurité sociale évoluent régulièrement, et chaque modification peut avoir des répercussions sur les obligations déclaratives. L’entreprise doit donc mettre en place un système d’alerte pour identifier rapidement ces changements et adapter sa politique en conséquence.

La conformité n’est pas une fin en soi, mais le point de départ d’une réflexion plus profonde sur l’organisation du travail à l’ère numérique. Les entreprises qui sauront transformer cette contrainte réglementaire en opportunité stratégique disposeront d’un avantage décisif dans la guerre des talents qui se joue à l’échelle mondiale. Le télétravail international, encadré par ces nouvelles obligations déclaratives, devient ainsi un élément différenciant de la politique RH des entreprises françaises.

Partager cet article

Publications qui pourraient vous intéresser

La gestion financière représente un pilier fondamental pour toute organisation. Au cœur de cette gestion se trouvent deux processus interdépendants : la facturation et la...

Les écarts de rémunération entre femmes et hommes persistent en France avec un différentiel moyen de 16,8% selon les derniers chiffres du Ministère du Travail....

La médiation représente une alternative privilégiée aux procédures judiciaires traditionnelles pour résoudre les différends. Cette approche, fondée sur le dialogue et la recherche mutuelle de...

Ces articles devraient vous plaire